À sa publication, en 1956, le roman de Joan Sales, Gloire incertaine, a été salué comme un roman non partisan qui contrastait fortement avec l’abondante production très idéologisée qu’avait suscitée la Guerre d’Espagne. Mais, à l’époque de la vague déferlante de l’existentialisme et de ses partis-pris doctrinaux, cette œuvre offrait une qualité encore plus exceptionnelle : allier la vraie littérature à une pensée existentielle qui ne demeure pensée (sur l’amour, la mort, Dieu, l’absurde, le temps, l’échec, etc.) qu’à la condition de rester inquiète, dubitative, inquisitive et dialectique. Or, et telle est la démonstration à laquelle se livre le présent ouvrage, ceci n’a été possible que grâce à la polyphonie orchestrée par l’auteur catalan. En effet, celle-ci, tout à la fois, structure le récit, avec la pluralité de ses narrateurs et éclate dans les dialogues des personnages et leurs longues méditations. Aussi chacun d’eux ne tarde-t-il pas à apparaître, aux yeux du lecteur, comme cet arbre des existentialismes dessiné par Emmanuel Mounier, étendant aussi loin que possible ses branches athées et ses autres spirituelles – même si elles s’enchevêtrent souvent et qu’une voix finale fait s’élever l’arbre espéré de la grâce aux racines qui « ouvrent sous terre » des sentiers dont l’homme ne sait rien.